Staline VS Capitalisme

Volet Création
J’ai bien l’impression de ne rien oublier. L’excitation monte en moi. Je sens enfin que le grand départ approche. Qui aurait cru qu’un jour j’irais visiter la patrie des tsars, que je verrais de mes propres yeux le sol qu’a foulé le grand Staline? Je me demande bien à quoi ressemble aujourd’hui cette contrée. Oh! J’oubliais un livre! Avec douze heures de vol à faire, je vais probablement en avoir bien besoin.

Aurais-je un jour la chance de voyager? Avec ce médiocre salaire et ma famille à nourrir, je ne crois pas que la possibilité se présentera à moi. Aujourd’hui, le camarade Staline a fait une promenade dans ma ville. Il nous a sermonné à propos de l’importance du travail manuel et nous a rappelé l’importance de l’État. On s’en doute bien et qui oserait contredire cette « loi » avec un fusil sur la tempe?
Nous voilà tous à Moscou en train de faire une visite en autobus. C’est la première fois que je vois une architecture aussi étrange. Les bâtiments délabrés coexistent avec ceux qui sont d’un modernisme visible. Cependant, ce qui demeure le plus frappant dans cette ville, c’est le nombre incalculable de publicités, plus grosses, plus imposantes les unes que les autres. Dire que les moscovites habitent et croisent ses publicités en permanence. Ils doivent être très influencés dans leurs choix d’achats. Je me demande à quel point tout ce « lavage de cerveau » compromet tout ce qu’ils font? D’un autre côté, est-ce que c’est si différent de chez nous? Les publicités sont beaucoup plus grandioses, mais il faut voir. J’imagine que j’aurai plus de chance en voyant les habitants de cette grande ville de plus près… Oh! La Place Rouge!
J’aimerais bien lire un livre de cet auteur dont le camarade Sasha a parlé aujourd’hui. Alexandre Dumas. Bien entendu, il nous a raconté l’histoire du roman Les trois mousquetaires pour nous expliquer en quoi ce type de roman devait être à jamais banni de nos vies. Jamais je n’oserais le dire, mais je ne me souviens de rien à l’exception d’une histoire merveilleuse, d’amour, de combats à l’épée, de fraternité et de justice. Pourquoi suis-je né dans un pays où de tels divertissements n’ont pas leur place? Je dois cesser de penser à ce roman, car s’il fallait qu’un jour la police spéciale du camarade Staline surprenne le cours de mes fabulations, je suis foutu. Relogeons cet Alexandre Dumas aux oubliettes.
Après avoir admiré une église qui fut érigée au quinzième siècle, un couvent de jeunes filles et une magnifique vue panoramique de la ville, nous nous sommes dirigés vers la Place Rouge que nous avions entrevue la veille en autobus. C’est en se promenant dans ce coin de Moscou que nous avons finalement fait face à de vrais Moscovites. Je me suis amusée à regarder ces femmes si bien mises. Des robes seyantes, des bijoux plus majestueux les uns que les autres et des souliers, mais de vrais souliers à talons. Sans exagération, ils devaient tous mesurer environ un décimètre, peut-être même plus. J’ai ainsi pu voir la corrélation très forte entre toutes ces publicités de produits pour les cheveux, de vêtements et de souliers qui recouvraient, qui tapissaient les murs de la cité. L’influence de cette publicité est donc très grande. Après le dîner, j’ai pu constater que même derrière les murs du Kremelin, endroit politique par excellence, les femmes ont des uniformes, à cause de leurs fonctions, mais qui s’avèrent extrêmement aguichants. La publicité est donc un facteur dominant de cette nouvelle société. Intéressant…
La lutte contre le capitalisme n’a jamais été aussi forte. Il est temps de vider la maison de tout ce que nous possédons qui pourrait être compromettant. Je vais devoir me débarrasser de mes bouquins et de ces merveilleuses toiles que j’avais acquises au marché. Je sais que c’est pour notre bien que le camarde Staline ordonne cette action, mais je ne peux pas m’empêcher d’avoir le cœur brisé. J’adorais m’asseoir et contempler ces œuvres. Je dois chasser ces idées de bourgeois de ma tête. Moins les objets matériels prendront de place dans notre vie, plus nous serons riches moralement. C’est ce qu’on nous a dit, il faut le croire. La vue ici est magnifique. Je me demande si cette cathédrale, celle de Basile-le-Bienheureux, est condamnée à disparaître. J’ose croire que non.
Aujourd’hui, j’ai ressenti le dépaysement que tout le monde prévoyait. Cette espèce de choc culturel qui pousse un humain à comparer son pays avec celui où il est et dont les pierres et le sol sont foulés par ses propres pieds. Ce sentiment de regarder une séquence vidéo, ce sentiment d’être totalement dissocié de son corps, de ne pas être où il est vraiment. Cette cathédrale de Sergei Possad (Saint Serge), cet intérieur irréel, ces couleurs fabuleuses, cet assemblement baroque, que de merveilles qui m’entourent. Je ne crois pas que les yeux d’une personne peuvent subir autant de beauté, de perfection d’un seul coup sans se dissocier de son corps, sans s’éloigner de cette réalité qui lui échappe, qui lui file entre les doigts. C’est ce qui m’arrive.
Le brave et grand camarade Staline a un nouveau projet d’envergure extrême. Il désire que toute la population le soutienne dans la construction des huit édifices qui serviront à commémorer la victoire de Staline et du communisme, celle qu’il prévoit pour les semaines à venir. Nous avons eu la chance d’avoir un avant-goût, grâce à une petite maquette, mais je ne suis pas rassuré du tout. Je ne le dirais pas tout haut, mais il me semble que ces édifices sont énormes, beaucoup trop gros pour notre petite ville. Le huitième édifice me semble être le plus monstrueux parmi tous. Il devrait, si la tendance se maintient, mesurer trois cent quinze mètres de haut et être surmonté de la statue du brave Lénine, qui elle mesurerait cent mètres. Le Kremlin, forteresse de mon enfance, subira sans doute un énorme choc dans l’ombre de cet édifice. Enfin, il nous faut accepter et approuver, cela va de soi et puis il ne faut pas, après avoir vécu de sombres périodes sous le règne des tsars et des autres dirigeants malotrus, se plaindre de notre situation actuelle, n’est-ce pas?
Cette nuit, nous nous sommes déplacés de Moscou vers Saint-Pétersbourg. J’adore les millions de choses que l’on peut observer dans cette petite bourgade. La première journée a été bien agréable et remplie de tranquillité et de nouveauté. L’action de mon esprit s’est mise en marche seulement après la visite du musée de l’Ermitage. Cette visite à elle seule a valu probablement tout l’argent que j’ai amassé pour faire ce voyage. En sortant du musée et en recommençant à réfléchir à tout ce qui nous avait été donné de voir depuis le début du voyage, j’ai eu une pensée pour notre guide de Moscou, Sergei. Je me suis rappelée un commentaire qu’il avait passé. Il nous parlait de Staline (auquel il a, de façon très honnête, comparé l’actuel président, monsieur Vladimir Poutine) et nous a avoué qu’à chaque fois qu’il regardait les merveilles, les monuments historiques de sa ville, une amertume surgissait dans son esprit, car il pensait à toutes ces merveilles qui ont été détruites sous le régime communiste et à toute celles qui sont passées tout près de la destruction. J’avais des frissons énormes en contemplant les beautés qui nous entouraient. De plus, comme les nuits sont très courtes en Russie (le soleil de couche vers vingt-trois heures et il se lève le matin vers trois heures trente) et comme j’avais de la difficulté à m’accoutumer à ce rythme, mes nuits étaient emplies d’insomnie et je réfléchissais à la situation de notre pays. La première pensée qui m’est venue à l’esprit était qu’en se comparant à cette grande patrie emplie de souffrances, les Québécois avaient une certaine tendance à se plaindre le ventre plein.
Ça y est. Il est mort. Staline est mort. Mon cousin, que nous avons hébergé après la guerre, a tellement pleuré. Il est convaincu que l’avenir de notre pays va s’effondrer avec le dirigeant. Pour ma part, j’ai beau essayé d’avoir de la compassion, de la tristesse comme tout le peuple de la Russie, de notre petite ville, je n’y arrive pas. La boule d’angoisse qui s’emparait de moi lorsque je pensais à Staline a fait place, avec la mort de cet homme, à un sentiment de légèreté incommensurable. Je tente de cacher cette joie qui m’envahit et que je ne comprends pas, mais je crois que je me sens maintenant libre. Est-ce légitime de pleurer la mort d’un homme, mais de pleurer de joie?
Il me semble que notre pays est si jeune et n’a que trop peu d’expérience dans la vie. Je sais qu’il est impossible de comparer deux choses si diamétralement opposées que le Québec et la Russie, mais je crois, très humblement, que notre nation a beaucoup à apprendre de cette grande puissance. C’est ce à quoi je pense, couchée sur les bancs de l’aéroport de Munich. Ce voyage a marqué la fin de bien des choses dans ma vie et de ce fait, il n’en a été que plus grandiose et apprécié. Je vais rentrer à l’université à l’automne, je vais accomplir mes tâches quotidiennes, je vais travailler les soirs où je serai disponible. Tout reprendra son cours, mais je crois que l’adage « les voyages forment la jeunesse » a pris tout son sens dans mon cas. J’espère continuer de voyager encore longtemps.
Voilà. Tout a repris son cours habituel, sans peur et sans tourmente. Peut-être aurais-je la chance de voyager maintenant? J’espère que tout ira pour le moi pour moi et ma famille.


 Réflexion critique
J’ai décidé, à la suite du voyage en Russie, de faire un journal de voyage dans lequel j’ai intégré des passages d’un personnage vivant à l’époque de Staline. Je me suis bien évidemment basée sur toutes les notions que j’avais apprises lorsque j’avais fait mon volet analyse. Avec le sujet complexe de l’histoire et la politique de la Russie, je me suis également concentrée sur la partie du voyage que nous avons fait à Moscou, car les notions que notre cher guide nous a données me semblaient les plus pertinentes à l’obtention d’un travail de création sensé.
Compte tenu du fait que nous devions nous laisser inspirer au maximum par notre périple, j’ai pensé que le modèle du journal de voyage était le plus approprié. Le récit de voyage a été mon choix final, car j’ai pensé qu’il n’y avait pas de façon plus concrète de se laisser inspirer par le voyage. J’ai également réussi à conserver l’esprit, l’essence de l’idée de mon projet, c’est-à-dire de mettre en relation la société actuelle, contemporaine présente en Russie avec la société que l’on retrouvait dans ce pays majestueux à l’époque stalinienne et dont j’avais réussi à me faire une reconstitution mentale grâce aux nombreuses recherches que j’avais faites sur le sujet.
Je trouvais important de mettre des passages d’un personnage fictif qui aurait vécu à l’époque de Staline afin de mettre en lumière que malgré tous les changements qui ont eu lieu, la société russe contemporaine a encore bien du travail à faire. Il semble que la dictature de Staline a été remplacée par la dictature du capitalisme. Ainsi, c’était beaucoup plus facile pour moi de faire le lien entre les deux sociétés. Aussi, cette partie me permettait de mettre par écrit ce qui me semblait être la représentation la plus juste possible de cette époque qui m’a passionnée pendant toute la session et à laquelle je suis probablement accrochée jusqu’à la fin de ma vie.
J’ai néanmoins rencontré une difficulté majeure lors de la rédaction de mon projet. Cinq pages de création, j’ai toujours trouvé, même dans mon cours de Création littéraire, que c’était très court et facilement faisable. Je me suis encore fait avoir en ce sens où j’avais tellement de choses à dire que je ne savais pas par où commencer. C’était un voyage tellement garni et rempli de richesse que j’aurais voulu parler de tout ce que nous avons eu la chance de voir pour que les gens qui liront mon blogue puissent se faire une idée complète de ce voyage que les amis ou collègues de classe ont eu la chance de faire. D’un autre côté, comme j’ai tenté de l’expliquer dans mon texte, les monuments, les beautés et les merveilles que nous avons vus lors de ce voyage sont très difficiles à définir, à décrire. À chaque fois que j’ai eu envie de me lancer dans une description, je me suis auto-censurée en voyant l’ampleur du travail qui m’était demandé. J’ai toujours eu l’impression que ce qui était vu dans un pays n’était pas descriptible, mais bien qu’il fallait le voir de ses propres yeux pour comprendre l’ampleur de la beauté qui se présente devant nos yeux.
Mon intention au départ était vraiment de mettre en relation deux époques du pays des tsars. Je crois également que ce texte portera les lecteurs à faire une comparaison avec leur propre pays, à savoir s’ils sont dans le même bateau que les Russes, en ce sens où l’on se croit libres et en pleine possession de nos moyens, mais que d’un autre côté, ce ne sont peut-être que des illusions.