Analyse: Staline chez Botchorvichvili et Mikhalkov

Staline et le communisme dans Sovki d'Elena Botchorvichvili et dans Soleil Trompeur de Nikita Mikhalkov
Introduction
De nombreux artistes se sont retrouvés, à l’époque de Staline, dans l’obligation de représenter l’homme d’influence. Ils ont souvent été très fortement encouragés, voire menacés pour faire des représentations qui valorisaient cet homme de culte friand de propagande. Cette découverte a suscité, lors de l’avènement de la déstalinisation, de la rage auprès des artistes, en particulier ceux des générations suivantes qui subissaient encore les répercussions du règne de cet être. Des œuvres qui se positionnaient contre ce mouvement ont pris le jour. C’estune des nombreuses répercussions qu’a engendrées le règne de pouvoir de Staline en Russie. L’auteure québécoise Elena Botchorvichvili, native de Géorgie, en a fait la démonstration dans Sovki (2008), roman relatant l’histoire, sur trois générations d’hommes, d’une famille se transmettant les secrets de la recette d’une pommade qui rendrait les femmes folles d’amour. Nikita Mikhalkov, réalisateur russe, a réalisé un film intitulé Soleil trompeur (1994), qui lui relate plutôt l’histoire d’une famille, celle du général Kotov, fidèle partisan de Staline, passant un après-midi tranquille à la campagne à l’époque du règne de l’homme de culte, dans la belle Russie.  Dans ces deux œuvres, des représentations tantôt différentes et tantôt semblables de Staline et de son communisme sont faites et l’impact que ce dernier a eu sur la vie des gens du peuple est également mis en lumière de multiples façons.
Qui est Staline?[1]
Iossif Vissarionovitch Diougachvili est né en 1879 en Géorgie. L’enfance de cet homme est marquée par la violence de son père (qu’il a perdu alors qu’il est âgé de onze ans). Ses parents l’envoient étudier au réputé séminaire de Tiflis où son comportement agressif et brutal est réprimandé de nombreuses fois. Il est finalement retiré du séminaire et s’engage dans le monde de la politique avec beaucoup de motivation, de verve et sous le pseudonyme qu’il choisit et qui est très éloquent, « Joseph Staline, l’homme d’acier ». Il est élu, en 1922, secrétaire général du parti soviétique, alors dirigé par Lénine. Lorsque celui-ci meurt, Trotsky est censé prendre sa place au pouvoir. Cependant, Staline le prend de court, le fait tomber et instaure le communisme en Russie. Après trois années de règne, il met en place la collectivisation des terres (mouvement obligeant les paysans à augmenter les quotas de production d’agriculture et d’élevage pour l’exportation et auquel le peuple s’oppose farouchement) et les goulags (camps de travail) qui, en tout, causent la perte d’environ six millions de personnes. Une énorme famine de même que la Deuxième Guerre mondiale viennent juste après ces malheureux évènements. Staline signe un pacte de non-agression avec Hitler, mais ce dernier ne le respecte pas et perd (au prix de nombreuses vies russes) sa guerre contre les soviétiques. Lors de son vivant, Staline tue, par paranoïa ou violence, des millions de personnes. Il fait assassiner (par la police spéciale et secrète qu’il avait créée et qui, avant de se faire nommer NKVD, se nommait la Guestapo) toutes les personnes qu’il croit coupables de trahison envers le parti communiste ou encore envers lui-même. Grâce à son charisme et à ses nombreuses entreprises, il est néanmoins adulé pendant tout son règne. Il s’agit d’un des cultes de la personnalité les plus forts de l’Histoire. Ce culte consiste en une vénération du chef d’un parti politique totalitaire. De nombreux moyens de propagande ou de rassemblement sont utilisés pour conserver ce pouvoir, cet amour du peuple. Staline meurt en 1953 et c’est seulement après vingt longues années après sa mort que la déstalinisation s’opère. Malgré tout, il est encore possible de nos jours de voir des partisans de l’idéal de Staline et même des représentations valorisantes de cet homme (chandails, émissions télévisées, etc.).
1.      Staline
1.1 Représentation de Staline dans Sovki.

Levan A. Chogoshvili, Family Portrait, 1985

Elena Botchorvichvili dépeint de multiples façons le vrai visage de l’homme d’acier de même que le communisme qu’il met en place en Russie dans son roman Sovki, qui fut reçu très positivement par la critique. Tout d’abord, la vision que les personnages ont de Staline est plutôt mitigée. La « vieille génération » des Gomarteli, soit le grand-père, voit Staline comme un monstre, comme le diable. Il représente toutes ces personnes qui éprouvaient une grande haine envers le tyran rouge. Il est important de comprendre que le grand-père (qui se fait nommer « le vieux Gomarteli » dans le roman) avait une vie formidable avant l’arrivée de Staline au pouvoir. Il produisait son baume dans la quiétude auprès de sa femme. Un jour, il est enlevé par la police stalinienne (la Gestapo) et se fait interroger. Il doit donner la recette de son baume ou il mourra. Sans hésitations, le vieux Gomarteli transmet la recette et il est relâché. En revenant chez lui, il se rend cependant compte que sa femme a été arrêtée elle aussi. Il considère que Staline lui a volé sa femme. D’ailleurs, lorsque son petit fils, Artchil, lui demande pourquoi il a été arrêté, il lui répond : « -Moi? Demanda le vieillard, surpris. Comme tout le monde. On m’avait arrêté soit parce que j’étais contre, soit parce que j’étais pour. »[2] Cette réponse met en lumière l’incongruité de nombreuses arrestations qui ont eu lieu durant le règne de l’homme d’acier. Aussi, une des pratiques utilisées par Elena Botchorvichvili est mise en relief, soit l’humour postsoviétique. L’humour postsoviétique est un humour propre aux Russes. Il a été inventé après le règne de Staline par tous ceux qui étaient dans l’obligation de se morfondre devant l’étendue des dégâts causés par le régime totalitaire. C’est en quelque sorte pour se consoler qu’ils ont commencé à interagir avec cet humour très sarcastique, très désillusionné. Il s’agit également, selon les critiques, de l’empreinte même du roman. La réplique du vieux Gomarteli met bien en évidence ce sarcasme, cette désillusion. La phrase sous-entend que durant le règne de Staline, tous et chacun ont été arrêtés sans aucune raison semblant justifiable.
La deuxième génération, quant à elle, représente les personnes qui ont vécu le règne de Staline avec beaucoup d’admiration pour cet homme. Dans le roman, ce groupe adhérant aux principes de Staline est représenté par le fils du "Vieux Gomarteli". Avec la guerre contre les Allemands qui se déclare, le fils Gomarteli, qui lui se prénomme Tenguiz, prend la décision de s’enrôler dans l’armée. Le grand-père ne peut comprendre cet engouement, cette envie d’aider Staline, un monstre inhumain, alors il pleure. Le jeune Tenguiz, quant à lui, vénère Staline. Son père avait beau lui répéter qu’un Allemand seulement mourait contre cinq Russes, car l’homme d’acier n’était pas un fin stratège, mais un personnage assoiffé de pouvoir, le garçon voyait déjà Staline comme un héros, comme un chef militaire extraordinaire. Un conflit de générations apparaît. Alors que pour les grands-parents Staline représente la destruction, la jeunesse, elle, croit en l’idéologie communiste et croit que l’homme d’acier représente d’agréables changements. Ce personnage ira même jusqu’à pleurer et disparaître lorsque survient la mort de son héros, Staline. Cette action laisse supposer que tout ce qu’il est en tant que personne disparait en même temps que le précurseur des idéaux qu’il pourchassait.
La troisième génération, pour sa part, ne se positionne pas face au règne de Staline, car elle semble tout à fait indifférente face à l’homme de culte. Artchil, représentant de la plus jeune génération des Gomarteli, se retrouve dans un accident. La Gestapo vient faire une fouille dans la maison. Un buste noir de Staline est dans la maison et ce dernier, accroché par un membre de la police secrète, perd son oreille. Artchil se rend compte de cela après le départ de la police et ne veut pas jeter le buste, parce qu’il y a interdiction de mettre à la poubelle  une représentation de cet homme et de plus, s’il décide de conserver le buste abimé,  il pourrait courir la chance de se faire exécuter à cause de l’oreille manquante. Il décide donc, avec le mortier servant depuis toujours à la famille Gomarteli pour la confection de leur pommade d’amour, de moudre Staline. Il est possible de voir la fin du règne de Staline dans ce geste, étant donné qu’il est moulu par l’un des personnages principaux de l’histoire, d’autant plus que ce personnage est indifférent au règne de Staline, la seule chose l’intéressant étant la chair fraîche, les jeunes femmes. Lorsque le matin vient, ce personnage se promène dans les rues de la ville et laisse s’envoler dans le vent la poussière de Staline qu’il tient dans sa main. Alors, bien que la métaphore d’une population qui ne vivra plus sous le joug de Staline est faite, il est possible de voir que malgré cette disparition de l’homme d’acier et de son parti, une trace restera toujours dans l’air et que Staline continuera à hanter les esprits des générations futures.

Vilan Kaluta, 1994.

1.2 Représentation de Staline dans Soleil trompeur
La représentation de Staline est très adroitement faite dans le film de Mikhalkov, en ce sens où deux visions sont faites du tyran rouge, soit un côté magnifique d’homme de pouvoir à suivre et un autre côté, celui de l’homme sombre qui tue délibérément. Le côté « Soleil » de Staline nous est montré, mais il est toujours démenti par le côté « trompeur ». Du moment qu’il y a une explication ou une action positive de Staline qui est décrite, le réalisateur a fait le choix d’aussitôt contrevenir à cette vision favorable en instituant quelque chose de très négatif. Par exemple, une fête est organisée par Staline, mais tous les gens de la population se retrouvent dans l’obligation d’y aller, sous risque de peine sévère. C’est un cadeau empoisonné.
Au début du film, l’Armée Rouge est envoyée pour se battre contre des paysans. En fait, un clin d’œil à la collectivisation des terres est fait ici. Staline voulait que toutes les cultures deviennent la possession du régime et il a envoyé son armée saisir le tout. Mais le général Kotov, qui est le principal personnage du film et un fier camarde de Staline et il s’oppose à cette saisie. Cette scène met en évidence que malgré l’admiration qu’un homme peut avoir envers un autre, les multiples côtés de la personnalité d’un être ne peuvent être cachés pour toujours. Donc, le général Kotov commence à saisir l’ampleur du pouvoir sombre de Staline et ce, dès le début du film. Il paie très cher son acuité à la fin du film.
Une autre scène est très importante dans le film. Toute la famille du général Kotov et Dimitri sont à la plage et ils profitent du soleil. Kotov et sa petite fille Nadia partent en barque et quelques instants plus tard, l’armée du Camarde Staline débarque. Ils imposent une pratique de guerre nucléaire ou biochimique et obligent les personnes présentes à porter des masques à gaz. Ensuite, on revient à la maison et on retrouve Maroussia (la femme de Kotov et l’ancienne amante de Dimitri) qui joue du piano avec Dimitri, mais les deux personnages ont conservé leurs masques. Il est plutôt inquiétant de les voir aller et il est possible de voir, avec ces masques, que l’esprit et la domination du tyran rouge sont partout, même dans la vie privée des gens. Il trouve la façon de s’infiltrer et de régner en maître. Il s’agit également d’humour postsoviétique, le même que l’on retrouve chez Botchorvichvili, car les gens ont souvent été dans l’obligation, à l’époque stalinienne, de porter ces masques contre leur gré, alors que dans cette scène, c’est pratiquement dans l’allégresse que les protagonistes les utilisent.
Avant la dernière action impliquant le général Kotov, soit les coups qui lui seront portés, on ne voit jamais Staline. Dans cette scène, les hommes de main de Dimitri battent le général de façon on ne peut plus violente, car ce dernier a dérogé aux ordres du camarade Staline en refusant que l’armée saisisse les terres au début de l’oeuvre. À ce moment exactement, un des dirigeables de Staline s’élève du champ de blé dans lequel il était camouflé. Ce camouflage met en évidence le côté caché, le côté trompeur de l’homme d’acier. Il est, en quelque sorte, le maestro, celui qui dirige la mise à mort (car suite à ces évènements, le général Kotov a été déclaré disparu) de l’homme. C’est d’ailleurs au nom de Staline que l’exécution est faite. Staline a été, de son vivant, perpétuellement convaincu que les gens de pouvoir, avec un haut grade politique ou militaire, cherchaient à le trahir. C’est malheureusement ce qui arrive au général Kotov. Lorsqu’il est dans l’auto, il se fait battre, mais ses pleurs prennent le dessus sur tout. Il a compris que l’idée de son communisme qu’il aimait tant, les idéaux qu’il défendait n’étaient rien et qu’il a été trahi. 
1.3 Comparaison entre les deux œuvres.
Bien que des représentations du personnage soient faites dans deux œuvres différentes, il va sans dire que certaines façons de représenter ce personnage sont tout à fait semblables. Par exemple, dans les deux œuvres, Staline est majoritairement vu comme un démon, un traître ou un monstre. Les artistes prennent néanmoins le soin de montrer l’autre côté de la médaille en instaurant des personnages qui ne jurent que par le nom de l’homme d’acier. Aussi, toujours dans les deux œuvres, Staline n’est pas un personnage présent dans l’histoire. On ne suit pas son cheminement à lui, mais on le rencontre au travers de la perception des personnages. Jamais Staline ne vient et commet un acte par lui-même. Cette distanciation permet à Botchorvichvili et à Mikhalkov de faire une critique beaucoup plus nuancée et ainsi, ils mettent également en valeur non pas les adeptes du stalinisme, mais bien les victimes, ceux qui ont subi et souffert sous le joug du tyran rouge et de son régime totalitaire. Dans le roman, les représentations de Staline se font sur une plus longue période de temps. On commence au début du règne de pouvoir du grand communiste et on se rend jusqu’à sa mort. Dans le film, il s’agit d’une journée parmi tant d’autres du règne de Staline. Aussi, dans les deux œuvres, l’humour postsoviétique, le sarcasme et l’ironie sont présents. Les deux auteurs utilisent des procédés semblables pour faire en sorte que la perception que le lecteur a de Staline soit la plus sombre possible.
2.      Communisme.
2.1 Représentation du communisme dans Sovki.
Le communisme, créé par l’homme d’acier, est également représenté de multiples façons dans les œuvres. Pour ce qui est du roman, le titre à lui seul donne le ton à l’oeuvre. Le terme sovkis désigne, dans le nouveau langage russe, les personnes qui sont amères, qui regrettent l’ancien régime communiste. Le titre est donc très ironique, car Elena Botchorvichvili est une grande adversaire de tout ce qui a trait au pouvoir communiste.
Durant le récit de chaque génération, deux fruits sont souvent mentionnés, soit les mûres et les oranges. Dans ce rond orangé, on voit une dilution du rouge, ce qui laisse présager une tombée du communisme. Par exemple, les oranges emplissent la table dans les moments de festivité, comme le mariage d’Artchil, qui se déroule après la mort de Staline. Les mûres et le mûrier, quant à eux, sont présents dans les grands moments de difficultés. Pour illustrer cela, il est possible de songer à un certain moment de l’histoire où un des personnages féminins partage ses déboires, sa tristesse d’être encore une vieille fille à vingt-six ans. Elle rumine toutes ces sombres pensées devant le murier. Au même instant, « le vieux Gomarteli » fait une crise cardiaque, sa troisième. Les épines de cet arbre permettent de bien sentir la misère des personnages, mais la couleur, encore une fois, est très significative. Autant pour les oranges il était possible de remarquer une diminution du rouge, autant les mûres accentuent la présence du communisme de Staline.
Il y a un autre élément de la nature qui est très présent dans le roman d’Elena Botchorvichvili. Il s’agit du vent. Ce dernier est présent lorsque les hommes se marient. Le début et la finale du roman s’articulent justement sur le vent qui s’enfuit avec des femmes faisant office de fiancées à différentes générations de Gomarteli. Il est possible de faire le lien entre cet élément de la nature et le communisme de Staline, en ce sens où de nombreuses personnes ont perdu ce qui leur tenait à cœur durant le règne de Staline. Dans le même ordre d’idée, le vent vole les amours des hommes de l’histoire.
Lorsque l’auteure nous situe dans la deuxième génération, la guerre revêt également une importance toute singulière dans le domaine de la couleur. Le rouge du sang est, bien évidemment, souvent mentionné. Comme le rouge est la couleur représentative du communisme, l’auteure veut mettre en valeur, en mettant l’accent sur tout ce qui contient la couleur rouge, la quantité de sang qui a coulé dans le but d’accomplir les idéaux du sombre parti. Elena Botchorvichvili décrit, par exemple, l’image que le vieux Gomarteli a de son fils, Tenguiz : « Et parmi ces milliers d’hommes se trouvait son fils, son garçon; son petit garçon dont les mains étaient maculées de taches pourpres. » [3]
2.2 Représentation du communisme dans Soleil Trompeur.
Nikita Mikhalkov, dans son film Soleil trompeur, représente de multiples façons du communisme sont faites. Pour ce qui est du titre, il a une signification très singulière. Les deux termes, soit « soleil » et « trompeur », parlent du communisme selon les deux aspects qui sont représentés dans le texte. Le côté « Soleil » du communisme, parti en lequel il est possible de fonder tous ses espoirs, est représenté par le bonheur du capitaine Kotov, bonheur qu’il vit dans sa datcha[4] en compagnie de sa famille. Le général sert son camarde Staline et l’idéologie communiste avec le plus grand respect et ce qui nous semble être la plus grande conviction. La fille de Kotov démontre aussi ce côté lumineux qu’a été en mesure de projeter Staline de son vivant. Elle croit fermement à ce que son père lui a appris, soit que le régime communiste est la meilleure chose qui soit arrivée à la Russie. C’est au moment où le personnage de Dimitri, charmant garçon revenant dans son pays natal après dix ans d’absence et qui avait, dit-on, trahi Staline, entre en scène. Or, à cet instant, il fait partie de la NKVD, police secrète de Staline, et il a pour mission de faire arrêter et torturer le général Kotov, qui aurait trahi à son tour le tyran rouge, intervient que le voile d’ignorance commence à être soulevé et que nous voyons les marques réelles laissées par le communisme. Tous les anciens problèmes refont surface et de nouveaux s’instaurent également. Kotov, fervent défenseur de Staline, se fait arrêter et battre à la fin du film par l’Armée Rouge. Il s’agit du côté trompeur de la révolution. Kotov donnait sa vie à Staline et puisqu’il a légèrement désobéi, il est accusé de traîtrise et il se fera exécuter. Donc, le choix du titre de Mikhalkov est très concluant.
Une fois de plus, dans cette œuvre, les couleurs sont très éloquentes. Le film est tourné de façon à ce que les couleurs ressortent très ternes et délavées. C’est le cas notamment des vêtements des personnages ou des pièces de la maison. Cependant, lorsque des éléments communistes viennent envahir les plans, le rouge écarlate dont ils sont constitués est presque agressant. Au début du film, le drapeau et l’étoile du communisme sont d’un rouge aveuglant alors que le reste du paysage est gris, on ne peut plus terne.
La représentation la plus forte du communisme dans le film ne provient cependant pas de la couleur, mais bien de la boule de feu. Vers le milieu du film, elle apparait, cette étrange boule de feu qui se promène, qui anéantit des photos, assiste à un suicide et détruit de multiples objets. La boule de feu représente le communisme et tous ceux qui ont cru en cette idéologie, qui se sont brûlés à son feu.
Faisant partie des personnages qui se sont brûlés au feu trompeur du communisme, on retrouve, entre autres, Dimitri. Au début du film, on assiste à une séance de roulette russe[5] de celui-ci. On comprend donc qu’il a des pensées suicidaires et comme il travaille pour Staline, il est mis en lumière que le communisme et son dirigeant ne lui permettent pas de se complaire, de trouver satisfaction dans la vie qu’il mène. Dans le film, on découvre que le général Kotov s’est marié à son ancienne amoureuse et que celle-ci, ayant perdu son amant (Dimitri à l’époque), a fait une tentative de suicide. Elle lui raconte pourquoi elle n’a pas réussi et c’est ainsi que Dimitri est mis au courant que pour se couper les veines, il fallait aller dans l’eau pour empêcher le sang de coaguler.  Le dernier plan du film est ce même personnage, Dimitri, mort dans son bain, les veines coupées par son rasoir. En arrière plan, le boule de feu vole, comme si elle se moquait de lui et c’est ainsi qu’il est sous-entendu que tous ceux qui ont mis leurs espoirs en Staline et son communisme se sont fait avoir, ont été trompés.
2.3 Comparaison entre les deux œuvres : représentation du communisme
Les représentations du communisme sont semblables dans les deux œuvres. Dans le roman d’Elena Botchorvichvili, les deux côtés de la médaille sont donnés, en ce sens où il est possible de comprendre le point de vue des adeptes du communisme et les victimes, ceux qui se sont fait brûler par le feu de la révolution sont également bien représentés. Dans l’œuvre de Nikita Mikhalkov, le propos est nuancé de la même manière. Le film se veut un hommage aux victimes du communisme, celles qui ont subi le règne de Staline, mais il ne s’empêche pas de démontrer l’incohérence de la représentation lumineuse de ce parti. Le roman cherche à exposer une histoire où Staline a eu une influence certaine et palpable et où il a eu une relation directe avec les membres de la famille Gomarteli. Dans le film, le réalisateur met en relief les foudres, le mal que Staline a fait autant chez la génération du général Kotov que les générations qui suivent, y compris celle de sa fille, mais il semble néanmoins avoir une relation plutôt indirecte avec le personnage principal. Dans les deux œuvres, les couleurs sont présentes, l’imagerie demeure au premier plan. Il n’en demeure pas moins que dans leur approche, les deux artistes ont fait des choix similaires. Le stalinisme, le règne de terreur du tyran rouge est une époque historique très sombre pour les habitants de la Russie. C’est un sujet extrêmement lourd, mais la romancière et le réalisateur ont tous deux choisi de représenter cette époque de façon légère et humoristique. La romancière a laissé de nombreuses traces d’ironie et d’humour postsoviétique dans son bouquin. Le réalisateur, quant à lui, décrit une horrible situation qui s’est malheureusement trop produite à cette époque, mais il l’amène d’une manière toute particulière. L’intrigue stalinienne nage dans un environnement joyeux et détendu, celui d’une famille en vacances durant un bel après-midi d’été. Ils ont choisi d’y aller avec de la légèreté plutôt que des larmes pour mettre l’accent sur le fait que tout ce qui s’est passé à cette époque était complètement absurde, inexplicable.
3.      Impact de Staline
3.1 Impact de Staline chez le peuple dans Sovki.
Le règne de Staline est souvent qualifié comme l’un des pires règnes de terreur que les humains ont subi. Toutes les décisions que l’homme d’acier prenait, tous les actes qu’il commettait avaient des répercussions énormes chez tous les individus habitant la vaste contrée russe. Dans le roman d’Elena Botchorvichvili, l’impact que Staline a eu chez le peuple est, bien entendu, très intense. Chaque génération a subi son lot de souffrances, de douleurs et d’épreuves. « Le vieux Gomarteli » par exemple s’est fait enlever sa femme par le tyran rouge. Il s’est fait arrêter et en revenant chez lui après sa libération, il s’est aperçu que sa femme, sa douce était disparue. Il n’a su que par après qu’elle avait été elle aussi arrêtée et des dizaines d’années plus tard, il ignore toujours ce qui est arrivé à sa femme. Toutes les générations sont touchées, même celle qui appuyait le système communiste de Staline, car soit elles ont été détruites intérieurement par sa mort, soit la déstalinisation qui s’est instaurée vingt ans après ce même évènement les a anéanties.
3.2 Impact de Staline chez le peuple dans  Soleil trompeur.
Dans le film de Nikita Mikhalkov, l’impact de Staline se fait également ressentir. Le moment où cet impact est le plus visible se situe à la fin du film, dans l’épilogue. Des phrases qui apparaissent juste après le suicide de Dimitri (qu’il est d’ailleurs possible d’interpréter comme l’une des nombreuses marques de Staline chez le peuple, puisque la vie que l’homme d’acier lui avait promis n’a pas réussi à le satisfaire) nous disent que le général Kotov a été exécuté quelques jours après son arrestation, que plus personne n’a jamais entendu parler de sa femme Maroussia et que sa petite fille Nadia a également, quelques années plus tard, disparu de façon inconnue. Staline a donc fait disparaître toute une famille. L’impact du tyran rouge est palpable dans cette œuvre.
3.3 Comparaison entre les deux œuvres.
Dans les deux œuvres, il est évident que la marque de Staline est dans toutes les sphères de la vie des personnages. C’est le point extrêmement réaliste qu’il est possible de voir dans les deux créations. L’impact de cet homme est donc semblablement le même. La différence qu’il est possible de noter se situe au niveau de l’ampleur des répercussions. Dans le roman d’Elena Botchorvichvili, ces dernières se font ressentir sur un plus grand nombre de personnages. Trois générations vivent dans toutes les émotions que le règne de terreur de l’homme d’acier a pu créer. En ce qui a trait au film de Mikhalkov, les répercussions se font voir dans la même famille. Il va sans dire cependant que Staline a laissé de nombreuses séquelles.
Conclusion
Bref, dans le roman Sovki d’Elena Botchorvichvili et dans le film Soleil trompeur de Nikita Mikhalkov, Staline est au cœur de l’histoire. Des nombreuses représentations du dit personnage de même que des images du parti communiste qu’il  a instauré sont faites et ont été décrites, notamment par les aspects formels et les aspects du fond. L’impact que l’homme d’acier a eu dans la vie des braves gens du peuple est aussi décrit de façon très représentative. Dans le monde de la Russie moderne, là où toute forme de dictature stalinienne a été éliminée, il faut se demander si la dictature ne se trouverait pas maintenant au niveau de la corruption. Ce phénomène est de plus en plus discuté dans les médias et la question de pose.


[1] Seconde-guerre.com, « Staline, Joseph », 2005, [en ligne], Seconde-guerre.com, [http://www.seconde-guerre.com/biographies/biographie-n-staline.html].
Collectif, « Dossier : Le vrai visage de Staline », L’Express, no 2933, 20 septembre 2007, p. 20 à 33.


[2] E. BOTCHORVICHVILI, Sovki, page 53.
[3] BOTCHORVICHVILI, Elena, Sovki, p. 63.
[4] Terme russe désignant une petite maison de campagne.
[5] Jeu d’origine russe consistant à ne mettre qu’une balle dans le chargeur d’une arme à feu, à déposer le canon de celle-ci sur sa propre tempe, à tirer et à espérer que la balle soit dans un autre des six trous du barillet.

Médiagraphie
Livres
BOTCHORVICHVILI, Elena, Sovki, Montréal, Éditions Boréal, 2008, 135 p.
BULLOCK, Alan, Hitler et Staline, vies parallèles, Paris, Éditions Albin Michel/Robert Lafond, 1994, 531 p.
Collectif, Le grand guide de la Russie, Singapour, Éditions Gallimard, 1996, 355 p.
Collectif, Russie et Biélorussie, France, Éditions Lonely Planet, 2006, 812 p.
Film
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Site Web
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